#4 - Esquive

Le casse avait mal tourné. Tout le monde était mort. La police est partout, elle est tout autour : C’est vrai qu’en Enfer, il y a beaucoup de policiers.

Cet implant était une relique d’un autre monde, celui qui nous avait précédé : l’âge du carbone et de la nuit et du plastique et du pétrole. Un artefact d’une valeur inestimable - C’est pourquoi lorsque les gardes les coincèrent, le seul réflexe - peut être un peu idiot, certes - de Jeanne fût de s’arracher le bras et d’y coller le nouveau bras. Jeanne avait trop joué à Cyberpunk 2077. Car bien sûr ! Comme ci cela fonctionnait comme ça, comme si un implant cybernétique vieux d’un milliers d’année allait fonctionner, et comme si même en son temps il fonctionnait de cette manière ! Enfin, il ne suffisait pas de se couper le bras et d’y coller l’objet en attendant que quelque chose se- ah bah si. L’implant creusa, forgea son intérieur, anesthésia ses nerfs, et bientôt en son corps flottait des fils de carbone modifié, et ces fils pulsaient d’électricité.

C’était quand même sacrément idiot : A votre avis, comment réagissent des gardes à l’apparition d’un monstre datant de l’ancienne époque ? A la réactivation d’une relique de l’âge corrompue, honnie de toutes parts ? Avec des balles. Et les balles trouvèrent son coeur bien assez tôt ; Son esprit s’en alla et son âme entama un long voyage vers les enfers.

Mais l’implant n’était pas d’accord. Jeanne ne comprenait pas son fonctionnement. Pour elle, ce genre de bidules se limitait au champs du physique et du corps. Il faut croire qu’elle avait tort et que l’implant avait un accès direct à son âme. Peut-être avait-il même été conçu à cet effet, qui sait ? Toujours est-il que cela fait deux jours, et que l’implant refuse cette mort, et que - par un miracle qu’elle ne s’expliquait toujours pas - il la faisait survivre au milieu des flammes et des volcans. Son âme n’était donc pas complètement acquise à ce lieu. Elle avait une chance - du moins, si elle arrivait à trouver un moyen de sortir et que, durant toute cette aventure, elle arrivait à esquiver les balles fumantes de ces CRS démoniaques. Et pourtant elle esquivait plutôt bien, ou plutôt ce truc lui disait d’esquiver, elle acquiesçait presque inconsciemment à son ordre comme un premier ministre à son président, et ce truc esquivait en contrôlant son corps.

Il y avait quelques avantages à être une âme : Elle n’avait pas faim, elle n’était qu’émotions et sensations. Elle ne savait pas si cela était le fait de l’artefact qui prenait la place de son bras, qui était son bras, mais elle adorait être en enfer et esquiver les balles. Cela faisait 48 heures et elle n’avait jamais été aussi heureuse de toute sa vie. Elle pourrait bien continuer comme cela encore toute sa vie, d’ailleurs. Esquiver une balle qui caresse la peau, l’entendre siffler près de son oreille, ça c’est la vie. Pas planter des navets dans une ferme énergiquement responsable ou je ne sais pas quoi. Mais elle repensait ensuite au reste : Son fils. A ce pourquoi ils étaient rentré dans cette ruine. Aux cadavres de ses amis sur les pierres froides. Et son âme se recouvrait d’un voile de tristesse. Elle devait s’échapper. Elle devait vendre cette relique coûte que coûte. Elle ne voulait rien d’autre.

Sept mois plus tard, sa mémoire n’était qu’un souvenir lointain. Comme le corps s’adapte à son usage, elle découvrit bientôt qu’elle ne savait plus qu’esquiver et enfoncer son bras dans les cadavres. Tout son corps s’opérait, se reconfigurait et s’axait autour de cet unique but - et pour tout dire, cela lui allait. Elle était si heureuse.

Après avoir abattu un nouveau robocop auréolé de flammes (le 37ème de la journée), elle eût un éclair de génie : Son bras n’avait perdu aucune énergie depuis son arrivée en Enfer. En fait, c’était même l’inverse : Plus le temps avançait et plus il semblait performant ! Comment ? Elle avait enfin compris : Le carburant de ce bras, ce n’était pas une batterie électrique. C’était les âmes. Et il ne voulait rien d’autre que d’en aspirer, de plus en plus. Et alors, cela la frappa comme elle frappait ces hommes et ces femmes en combinaison bleue marine : Elle ne sortirait jamais des Enfers.

Alors peut-être que du tréfond de son âme, les vestiges d’une ancienne elle oubliée refît surface un instant, mais uniquement pour constater à quel point elle n’était plus chez elle. Elle repensa à son fils, à sa vie, à la surface, et cela ne lui fît rien. Le vestige implosa, car il ne servait ni à esquiver, ni à tuer. Elle resterait en enfer jusqu’à la fin des temps, et elle ne pouvait espérer une meilleure existence que celle-ci.

C’était ce que son bras voulait. C’était ce qu’elle voulait, et elle était heureuse.