#2 Araignées

_Bordel, la grande avenue est encore bouchée ! Prends à droite !

_ T’es sûr Babouk? Le chemin a l’air étroit…

_Oui putain enclenche on a pas le temps là!

Les deux compères effectuèrent un virage serré. Ils débouchèrent dans une petite allée bordée de végétations et de murs en pierre. Même si ce nouvel itinéraire était plutôt calme, quelques passants tentèrent tout de même de traverser l’allée. Babouk n’hésita pas à les réprimander.

_Dégagez bordel, service d’urgences ! cria-t-il tout en slalomant entre les différents obstacles mouvants qui se dressaient face à lui.

Au bout de quelques minutes de pérégrinations, Babouk et son acolyte Loup étaient enfin arrivés sur place. Et ce qu’ils virent s’étaler devant leurs yeux ne les enchanta guère. _Ouais comme convenu ce n’est pas beau à voir…lâcha Babouk

Loup, moins expérimenté, ne put s’empêcher de lâcher un court soupir empli d’inquiétude et de stress. _Bordel qui a pu faire ça. Et comment on va faire Babouk?

_Calme-toi, lui glissa son collègue. Je sais que tu n’as pas l’habitude, mais tu vas voir. Ça a beau être impressionnant les premières fois, cela reste une mission de routine. Commençons par s’approcher de plus près pour jeter un coup d’œil tu veux.

Les deux individus commencèrent une lente escalade des blocs de pierre et de terre qui se dressaient devant eux. Arrivé en haut de cette petite colline, Babouk ne put s’empêcher de lever ses yeux au ciel. L’ombre gigantesque d’un arbre probablement centenaire avait d’ores et déjà recouvert leurs corps qui semblaient bien minuscules face à cette immensité végétale. Mais malgré sa taille imposante, Babouk ne put que constater les dégâts. L’arbre était plus que mal en point. Réputé aux alentours comme le plus bel arbre de la région, ce dernier n’était plus que l’ombre de lui-même. Son feuillage avait presque disparu et pour les maigres feuilles survivantes qui subsistaient, de grandes taches noires semblaient les contaminer comme une gangrène. En scrutant le tronc, Babouk aperçu également des masses blanches qui avaient élu domicile un peu partout autour du tronc et des branches de l’arbre. _Merde, il est déjà infesté… déclara Babouk. Puis celui-ci se retourna brusquement vers son coéquipier qui était lui aussi occupé à constater les dégâts.

_ Il va falloir sortir l’artillerie lourde. Loup, redescends et va prévenir les autres qu’on va avoir besoin de renforts pour sauver celui-là.

Loup ne se fit pas prier et redescendit la butte de terre. Maintenant seul avec l’arbre, Babouk s’avance de quelques pas vers le tronc et ne put s’empêcher d’essayer de le rassurer.

“T’inquiètes pas va, on va trouver qui t’a fait ça, et crois-moi, il va passer un sale quart d’heure.


_Je peux te poser une question Babouk ?

Cela faisait plus d’une demi-heure qu’ils marchaient dans un quasi-silence religieux que Loup venait tout juste de rompre. Babouk lui répondit par l’affirmatif d’un petit grognement.

_Ça fait combien de temps que tu es dans la brigade Babouk? Tu sembles avoir tant d’expérience de terrain, mais pourtant tu étais encore le petit nouveau y’a pas si longtemps.

Babouk ne put s’empêcher de sourire face à la question de son collègue. Au final, se dit-il, c’est lui aujourd’hui le petit nouveau, normal qu’il se pose tant de questions. L’ainé lâche un petit ricanement avant de répondre.

_En effet, je ne suis dans la région que depuis 2 ans. Mais auparavant j’ai fait toute ma carrière dans les îles. Et je peux te dire que là-bas, c’est pas les mêmes bestioles qu’ici.

Loup s’arrêta soudainement abasourdi par sa réponse. Il cria alors :

_MAIS WOW! C’était donc vrai!

Babouk tira d’un coup le corps de Loup. _Putain moins fort t’es con ou quoi?! Je te rappelle qu’on est en chasse là.

_Oops désolé…reprit-il en chuchotant. Putain c’est Aypierre qui m’avait raconté cette rumeur, mais j’y croyais pas! Tu viens vraiment des îles? Raconte, comment c’est là-bas !? Et comment tu as fait pour venir ici?

Pendant quelques instants, Babouk regarda l’horizon songeur. Puis il reprit d’un ton empreint de nostalgie.

_Je me suis fait piéger. Voilà comment je suis arrivé ici. J’étais sur une mission de chasse, un gros morceau, du calibre 9 au moins. Puis d’un coup je me suis retrouvé enfermé dans une sorte de conteneur métallique. J’ai cru que j’allais mourir là-bas. Pas d’eau, pas de nourriture. La chaleur, le noir complet. Même si mes yeux s’étaient peu à peu habitués aux ténèbres, j’en ai fait des crises d’angoisse de cette noirceur et de cette solitude. Puis un matin après quelques jours, je me suis fait jeter hors du conteneur, presque mort. Tout ce que je me rappelle c’est que quand je me suis réveillé, j’étais ici, au poste d’infirmerie de la brigade. Ils se sont occupés de moi et de fil en aiguille, je me suis retrouvé embrigadé.

Loup buvait ses paroles, les yeux écarquillés devant tant d’admiration. Alors que Babouk lui sourit comme un maitre sourit à son apprenti, il remarqua soudain un léger mouvement sur la gauche de son coéquipier. Serait-ce… _COUCHE-TOI LOUP!, cria l’ainé.

Mais Loup ne réagit pas assez vite. À peine eut-il le temps de se rendre compte de la situation, qu’une douleur lui envahit le torse. Alors qu’il encaissa un coup de morsure d’une créature non identifiée, il se fit soulever du sol puis balançait comme un vulgaire morceau de viande sur une longue distance.

Babouk esquiva les coups et essaya de se diriger vers Loup qui gémit au sol. _Tiens bon gamin! J’arrive! , cria-t-il.

_J’ai mal Babouk…

_Ne bouge surtout pas je vais te sortir de là.

Babouk scruta de ses yeux de chasseur tous les angles possibles. La créature est extrêmement rapide, et de petite taille, presque insaisissable à l’œil nu, se dit intérieurement le chasseur alors qu’il se prépara à affronter le monstre. Puis tout d’un coup, il la vit jaillir de derrière un coin de mur à une vitesse folle. Babouk eut cependant le temps de l’esquiver. Une vision brève lui permit cependant de dresser le portrait de sa cible. La créature était si vert fluo que Babouk se demandait si elle brillait dans la nuit. Elle possédait trois paires de pattes et deux griffes acérées à l’avant de son corps, de quoi vous glacer le sang. Ses yeux étaient injectés de sang et ceux-ci semblaient bouillonnés d’une rage sans précédent. Babouk tressaillit face à la vision de ce monstre. Mais il se ressaisit lorsqu’il entendit les gémissements de Loup à quelques pas de lui. “Ce n’est pas le moment de fléchir mon pote, on compte sur toi.”, se dit-il intérieurement

Les deux opposants se faisaient face et attendaient un mouvement de l’autre pour réagir. Cette stase durait depuis quelques secondes qui semblaient déjà interminables lorsque Babouk se décida à attaquer. Il prit son élan et courut de toutes ses forces vers la créature. Il fallait frapper un gros coup pour empêcher la créature de riposter. Un direct au cœur, et assez puissant pour percer sa carapace. Alors qu’il allait arriver à hauteur de frappe, un vacarme se fit entendre. La terre trembla tout autour de Babouk et de la créature. Babouk perdit l’équilibre et du s’arrêter dans sa course. Abasourdi, il leva ses yeux au ciel. Il aperçut alors une sorte de masse gigantesque de couleur chair qui se dirigeait à toute vitesse sur lui. “Mon dieu c’est la fin, pensa-t-il. Désolé gamin…”


_Mais qu’est-ce que tu fais Corentin ?! _C’est une araignée papa ! Faut la tuer, elle attaque ton bonsaï!

Le père prit la main de son fils qui tenait la petite araignée et lui fit reposer tout près du rebord de la fenêtre. _Non non, au contraire elle le défend. Regarde, elle va attaquer ce puceron. Oh, c’était rapide, dis donc. Tu vois, elle lui a réglé son compte. Et puis tu sais, c’est bon signe lorsqu’il y a des araignées dans la maison, c’est signe qu’elle est en bonne santé. Et regarde la preuve, elles la défendent. Allez, viens, laisse-la tranquille, on va au parc.

Alors que Corentin et son père s’éloignaient du champ de bataille, ils ne sauront jamais qu’à cet instant précis, au niveau microscopique, un cri de victoire et de rage résonnait. Tous les insectes des alentours entendirent ce cri dont l’écho vibrait dans cette vallée qui deviendrait plus tard, le lieu de recueillement de la bataille de Babouk.